Le chemin des espagnols à Grignon

À l'automne 1939, un camp de travailleurs espagnols est installé à Grignon pour construire une nouvelle route militaire en direction de la Tarentaise.

2 septembre 1939 : à l'abri derrière sa ligne Maginot, et au lendemain de l'invasion de la Pologne par Hitler, la France déclare la guerre à l'Allemagne. De l'autre côté des Alpes, l'Italie mussolinienne est un allié du chancelier allemand. Par précaution, la république renforce sa frontière avec l'armée des Alpes. L'état-major constate rapidement que l'accès à la Tarentaise est des plus fragiles une seule voie pour remonter la vallée ; la RN 90, qui passait alors par les villages du temps des mulets, cela pouvait suffire. A l'heure de l'aviation et des bombardements ciblés, l'accès unique devient un risque majeur. Il est donc décidé dans la précipitation d'ouvrir une seconde voie d'accès à la Tarentaise à partir d'Albertville. Ou plutôt de Grignon, à l'amont du pont Albertin, Dans la foulée, le projet d'une « pénétrante d'armée » est lancé sur la rive droite (et sera réutilisée dans les années 50 pour la future déviation de la RN 90), après la Pierre du Roy.

Les troupes étant mobilisées sur les frontières, la main d'œuvre sera étrangère. Cela tombe bien, des dizaines de milliers de combattants républicains espagnols peu suspects d'entente avec les fascistes voisins croupissent depuis des mois dans des camps provisoires, après la victoire de Franco en février 1939 et la « Retirada » des républicains jusqu'en France.

Une compagnie, près de Grignon

L'autorité militaire décide donc de créer des Compagnies de Travailleurs Espagnols (CTE) et recrute dans les camps des Pyrénées, où les réfugiés sont entassés dans des conditions infâmes.

« Les meilleurs éléments des camps se sont fait inscrire, préférant l'activité des chantiers à l'inaction des camps » écrivait en décembre 39 1'ingénieur en chef des travaux publics Albertville, L, Pernet. La promesse avait été que ces volontaires « seraient considérés comme des soldats français pour ce qui concerne l'habillement, la nourriture, le tabac et le prêt ».Grignon info 2024 Chemin des Espagnols

      

Par sa connaissance du terrain, Pernet assure dès le 13 septembre le piquetage d'une nouvelle voie en rive gauche de l’Isère, allant Ce Grignon à Esserts-Blay, via la forêt albertvilloise de Rhonne_ Trois compagnies d'espagnols sont amenées fin septembre sur le secteur, avec plus de 500 hommes, Deux compagnies (les 81E et 82e CTË) sont logées sur Esserts-Blay. La 83' CTE est installée à Albertville rive gauche, sur des terrains qui seront annexés à Grignon en 1970 (zone de la base de loisir et ferme Christin). Les installations du camp sont sommaires (quelques baraquements en bois, mais surtout du logement sous tente, malgré un automne très pluvieux), et les travaux de la nouvelle route démarrent aussitôt.

Un chantier sans trop de matériel   

Grignon info 2024 Chemin des Espagnols Page 03 Snapshot 01

En attendant, ce sont surtout les tirs de mines qui dé, rangent les albertvillois. La STEDA (Société de Transport d'énergie Des Alpes) s'inquiète pour ses pylônes électriques, et Joseph Bovagnet, éleveur de porcs dans la plaine de Conflans se plaint que les tirs envoient de nombreuses pierres jusqu'à sa porcherie. Cela lui casse des tuiles, et risque de blesser son personnel ou son bétail... Pernet trouve un éclat de plus d'un kilo dans la porcherie, et imagine une solution pour mieux tenir le chef mineur espagnol doubler sa ration de vin s'i' n'y a plus de plainte, et la supprimer si des cailloux votent encore... Vais il ne faut pas trap freiner les mineurs, qui ouvrent la voie, et donnent du travail aux non mineurs, les plus nombreux, Consigne est aussi donnée de surveiller les transports par brouette, les terrassiers ayant pris l'habitude d'aller verser le plus près possible du point de départ... Tout cela pour livrer la route pour le 31 décembre 1939, comme promis au 28' bataillon du génie, qui suit l'opération.

 

Des mines et des dégâts

En attendant, ce sont surtout les tirs de mines qui dérangent les albertvillois. La STEDA (Société de Transport d'énergie Des Alpes) s'inquiète pour ses pylônes électriques, et Joseph Bovagnet, éleveur de porcs dans la plaine de Conflans se plaint que les tirs envoient de nombreuses pierres jusqu'à sa porcherie. Cela lui casse des tuiles, et risque de blesser son personnel ou son bétail... Pernet trouve un éclat de plus d'un kilo dans la porcherie, et imagine une solution pour mieux tenir le chef mineur espagnol doubler sa ration de vin s'i' n'y a plus de plainte, et la supprimer si des cailloux votent encore... Vais il ne faut pas trop freiner les mineurs, qui ouvrent la voie, et donnent du travail aux non mineurs, les plus nombreux, Consigne est aussi donnée de surveiller les transports par brouette, les terrassiers ayant pris l'habitude d'aller verser le plus près possible du point de départ... Tout cela pour livrer la route pour le 31 décembre 1939, comme promis au 28' bataillon du génie, qui suit l'opération.

 

Noël et des revendications

Le chantier avançant bien, les ponts et chaussées suggèrent aux communes « qu'il serait juste et conforme aux traditions de notre pays de faire quelque chose pour le Noël des travailleurs espagnols qui passeront cette fête loin de leur pays et de leurs familles ». Esserts Blay vote 500 F pour les deux compagnies logées chez eux. Les espagnols sont motivés à Noël, on compte deux malades pour 200 espagnols, contre 5 sur 15 pour l'encadrement français, composé d'officiers de 14-18.., La révolte gronde pourtant, et depuis la mi-décembre, le rendement baisse. « Les travailleurs ont appris que les paresseux restés dans les camps ont été embauchés dans les usines de guerre pour 40 à 50 F par jour, et vivent libres avec leurs femmes, alors que les volontaires (pour les CTE) ne touchent que 0,75 F par jour et sont astreints à la discipline du camp. La différence est criante » souligne l’ingénieur Pernet. Certains repartent en Espagne, tes bons spécialistes trouvent Ce l'embauche ailleurs, et l'on a des remplacements étonnants : « le chef maçon Miguel est parti vers Orléans. Il est remplacé sur le chanter par un... joueur de football professionnel, très chic, mais ignorant de tout n. On est tombé de 160 à moins de 100 hommes par compagnie... Pernet s'inquiète pour le chantier Si je me base sur la lenteur des décisions précédentes concernant la fourniture de chaussures, de capotes, de lainages, de vin et de chalets avant l'hiver, je me demande quelle va être, au gros de l'hiver, la situation morale de ces compagnies aux effectifs réduits, appauvries de leurs meilleurs éléments et découragées.83 CTE

Découragées ou pas, les trois compagnies du bassin albertvillois sont réembarquées le 8 mai 1940 par le train de 9h09 (précision des archives militaires 570 hommes (dont 185 pour la CTE de Grignon), 3 officiers, 18 mulets, 3 camionnettes et 15 tannes de matériel partent avec deux jours de vivre de chemin de fer et deux jours de vivres de débarquement. Vers ?

Le statut de la route

Hâtivement créée par l'armée, cette route n'a jamais été prévue pour rester dans le patrimoine militaire. Dès le 4 novembre 1939, l'ingénieur des ponts et chaussées Pernet interrogeait les communes traversées sur l'avenir d'une voie qui n'a demandé aucune participation de la commune. Or, après la défaite de l'Allemagne (optimiste, en 1939 !), cette voie de communication sera intégrée dans le réseau routier de notre région ce qui représente un cadeau de prix. En outre, cette réalisation donne une plus-value considérable aux forêts qui s'étendent du pont Albertin au pont d'Esserts-Blay ».

Le 12 mai 1940, les premiers camions militaires empruntent le chemin des Espagnols, pas vraiment terminé. Fin juin, l'armistice met fin aux travaux, alors que la route n'est encore pas empierrée, et qu'aucun enrochement n'est posé pour défendre la voie contre l'Isère. Les allemands utilisent ce chemin pour abandonner Albertville en 1944, et dès le 16 novembre de cette année-là, a lieu une conférence entre l'armée et les trois communes, pour décider du sort de la route. Le 6 décembre 1944, le conseil de Grignan délibère, en demandant que les travaux et les acquisitions foncières soient terminés par l'État (même si sur Grignon le chemin des Espagnols suit le tracé d'un ancien chemin rural vers Rhonne) En février 1946, le génie refuse de paver les terrains, et le 23 mars suivant les maires refusent de prendre la route en charge dans ces conditions

Un panneau… et une histoire incomplets ROUTE DES ESPAGNOLS

Des deux côtés du chemin des espagnols un panneau historique a été implantés il y a quelques années pour rappeler qui étaient ces espagnols qui ont construit cette route. Mais en furetant sur internet, j’ai déniché des photos d’un autre camp de travailleurs espagnols marqué « 83 CTE » manifestement implanté à Grignon. Or il n’y a rien dans les archives de Grignon…

La solution était dans les archives municipales d’Albertville, puisque le camp était sur la rive gauche de l’Isère, secteur transféré à la commune de Grignon en 1970 …

François Rieu, Maire de Grignon, délégué général adjoint du Souvenir Français