Le Général de Brigade Henry Amable Alexandre de SARRET

1767 – 1794

Par Frédéric Mareschal, délégué général du Souvenir Français de Savoie - 2020

 

Ses origines – Sa prime jeunesse

Henry Amable Alexandre de Sarret est né le 6 septembre 1767 à Millau (Aveyron) de noble Jean de Sarret, avocat au parlement et échevin de la ville de Millau, et de dame Marguerite Geneviève de Mignon.

Issu de l’aristocratie aveyronnaise, il était tout d’abord destiné à la médecine ; discipline qu’il étudia à Montpellier. Mais, en 1784, alors âgé de 17 ans, il décida de s’engager dans l’armée. Il partit pour l’Espagne et incorpora tout d’abord le régiment wallon de Brabant. Promu lieutenant, il rejoignit le corps royal du Génie.

Il revint en France en 5 août 1791. Ayant adopté les idées révolutionnaires mais restant fidèle à l’armée, c’est à cette époque qu’il fit disparaître sa particule et se fit appelé simplement Henry Sarret. L’année suivant, le 18 septembre 1792, il fut attaché à l’état-major de l’intérieur comme adjoint aux adjudants généraux. Il passa ensuite au Bataillon de Chasseurs des Hautes-Alpes avec le grade de capitaine. C’est là que, le 27 mai 1793, le général Kellermann1, commandant alors les Armées des Alpes et d’Italie, le réclama pour être son aide de camp.

Le 29 septembre 1793, il se fit remarquer et se couvrit de gloire lors du combat de Cluses (Haute-Savoie). Cette victoire compensa la défaite subie par le général Santerre2, le 2e jour complémentaire an I (18 septembre 1793), et valu au jeune capitaine Sarret les éloges de Philibert Simond3, représentant du Comité de Salut Public, qui demandait de l’avancement pour ce dernier. Il fit cette demande une première fois dans sa lettre adressée depuis Sallanches, Savoie, au Comité de Salut public, le 30 septembre 1793, puis une seconde fois, le 1er octobre 1793, depuis Cluses, Savoie, aux mêmes instances, en suggérant le grade de Général de Brigade ou de Division afin d’honorer son courage. Enfin, voici les propos qu’il tenait dans un troisième courrier :

« Je répète à la Convention nationale le nom du citoyen Sarret, capitaine ; elle n’aura jamais un homme plus intrépide à récompenser ; il va toujours à la guerre avec une carabine, sans sac et sans cheval, et, hors la place de général en chef, je ne connais aucun poste que ce digne républicain ne remplisse avec succès et honneur. »

La requête de Simond fut entendue puisque le 5 brumaire an II (26 octobre 1793), le capitaine Sarret est promu Général de Brigade et devint officiellement le chef d’Etat-major de l’Armée du Faucigny, fonction qu’il occupait jusqu’alors par intérim. A la même époque, début novembre 1793, le général Sarret fut nommé commandant du camp de Tournoux, Basses-Alpes (Aujourd’hui Alpes-de-Haute-Provence).

Le 9 novembre 1793, ayant déjà pris ses fonctions à Tournoux, il écrivit à Bouchotte4, ministre de la guerre. Voici le contenu de cette lettre :

« Du camp de Tournous, le 19e jour du 2e mois de l’an II de la République une et indivisible.

« Le général de brigade commandant le camp de Tournous au citoyen Bouchotte, ministre de la guerre.

« Citoyen ministre,

« Je viens de recevoir l’avis que le Conseil exécutif provisoire a bien voulu me nommer général de brigade. Le général Doppet, commandant en chef l’armée des Alpes, qui en avait eu déjà connaissance, m’avait nommé pour commander le camp de Tournous. Rendu depuis quelques temps à ma destination, j’eusse désiré que les circonstances et le temps m’eussent permis de témoigner mon zèle pour la cause de la République ; mais les froids rigoureux qui se font déjà sentir dans cette partie et les neiges qui nous environnent paralysent nos dispositions. Fermant bientôt toute communication, elles vont nous ensevelir sous les frimas.

« Vive la République ! Salut et fraternité.

« Henry Sarret. »

A peine eut-il pris ses nouvelles fonctions, qu’il se fit de nouveau remarquer. Sa mission était de refouler hors les frontières, les troupes piémontaises qui se trouvaient sur le sol de la République, à l’entrée de la vallée de Barcelonnette. Le 13 novembre 1793, après avoir analysé les positions ennemies afin de positionner au mieux ses troupes - à savoir, au-delà de Meyronnes et sur le plateau de Mallemort5 -, le général Sarret lança l’offensive qui obligea l’ennemi6 à évacuer les villages de Larches, de Malboisset7 et de Maison-Méane7, et à se replier au-delà du col de la Madeleine, au camp éponyme. Sarret les poursuivit, les forçant à abandonner ce camp et se retirer hors du territoire français.

Le représentant dans les Basses-Alpes, Dherbez-Latour8, écrivait le 4 frimaire an II (24 novembre 1793), au Comité de Salut public pour leur signaler cette victoire. En voici les termes :

« […] J’ai été témoin de la retraite des Piémontais, qui ont été forcés d’abandonner la vallée de Larche […]. Je vous envoie le détail à part, vous verrez qu’ils ne souillent plus, dans cette partie, le sol de la liberté, et vous applaudirez à l’intrépidité du général Sarret et de nos braves républicains.

« Vive la République!

« Salut et fraternité. Votre collègue,

« Dherbez-Latour. »

Malheureusement, je n’ai pas retrouvé le détail que Dherbez-Latour évoque dans ce courrier.

Mais, malgré cette victoire et poussé par son esprit patriotique exacerbé, Sarret veut offrir encore d’avantage à la République. C’est ainsi qu’à cette même époque, il demanda à son supérieur, le général en chef de l’Armée des Alpes, Dours9, de l’envoyer à Toulon pour mater la rébellion et reprendre la ville aux Britanniques. Voici la réponse à ce courrier :

« 24 brumaire10. Au citoyen Sarret, commandant le camp de Tournoux :

« J’ai reçu ta lettre, citoyen, et ne puis qu’applaudir au désir que tu manifestes d’aller combattre les rebelles de Toulon.

« Tu n’es pas compris sur la liste des officiers que le général Doppet11 a désignés pour se vendre au camp d’Ollioules. Tu sens que nous avons besoin de conserver aussi à l’armée des Alpes des hommes instruits et courageux.

« Dours. »

Le général Sarret resta à son poste de commandant du camp de Tournoux l’hiver 1793-1794. Mais les choses devaient évoluer à la tête de l’Armée des Alpes. A la suite du général Dours, ce fut d’abord le général Carteaux12, du 18 novembre au 22 décembre 1793, puis par le général Pellapra13, à titre provisoire, du 23 décembre 1793 au 20 janvier 1794.

 

L’arrivée du général Dumas à l’Armée des Alpes – l’ordre de mission reçu

Le 21 décembre 1793, ce fut au tour du général Alexandre Dumas d’être nommé général en chef de l’Armée des Alpes par la Convention nationale, mais il ne prit officiellement ses fonctions que le 21 janvier 1794.

Voir Annexe 1

Lorsque le général Dumas prit la tête de l’Armée des Alpes, il souhaitait la réorganiser ; il s’agissait en effet, d’une armée de près de 47.000 hommes totalement désorganisée du fait des changements successifs et nombreux à sa tête – quatre généraux se sont succédés en quatre mois –. Ces hommes sont mal ou peu armés, sans tenues ni équipements.

A sa nomination, Dumas se retrouva à la tête d’une armée constituée de trois divisions. En voici l’ordre de bataille datant du 21 décembre 1793 :

Dumas, général en chef

Pouget14, général de brigade, chef d’Etat-major

1e Division : 8.193 hommes

Petit-Guillaume15, général de division, à Digne

Sarret, général de brigade, à Barcelonnette

Valette16, général de brigade, à Briançon

Adjudants-généraux :

  • Massol17, chef de brigade à Digne
  • Chambon18, chef de bataillon à Barcelonnette
  • Colinet19, chef de bataillon, à Briançon

2e Division : 14.959 hommes

Dours, général de division, à Chambéry

Maurienne : 3.455 hommes

  • Walther20, général de brigade, à Saint-Jean-de-Maurienne (remplacé par Badelaune, le 13 janvier 1794)
  • Rey21, adjudant-général, à Saint-Jean-de-Maurienne

Tarentaise : 2.189 hommes

Vaubois22, général de brigade, à Moûtiers (Badelaune en congé)

Faucigny-Chablais : 5.108 hommes

Gouvion23, général de Brigade, à Chambéry

Adjudants-généraux :

  • Camin24, chef de brigade, à Chambéry
  • Camel, chef de bataillon, à Carouge

Brigade de flanc : 3.707 hommes

Lajolais25, général de brigade, à Bourg

3e Division : 14.237 hommes

Généraux de brigade :

  • Rivaz26, à Grenoble
  • Cézar, à Grenoble
  • Simien27, à fort Barrault

Adjudants-généraux :

  • Palasson, chef de bataillon, à Grenoble
  • Lécuyer, chef de bataillon, à Grenoble

Garnisons : 9.547 hommes

Artillerie : 1.187 hommes

Total général : 47.723 hommes

En janvier 1794, un nouveau représentant du peuple est nommé par le Comité de Salut public pour l’Armée des Alpes, il s’agit de Gaston28.

Voir l’pdfANNEXE_2 le compte-rendu de cette nomination .

Alors que le général Dumas était à peine installé dans ses nouvelles fonctions, il reçut l’arrêté suivant, daté du 6 pluviôse an II (25 janvier 1794) :

« Le Comité de Salut public arrête:

« ART. 1. — Le général en chef de l’armée des Alpes prendra les mesures nécessaires pour s’emparer le plus promptement possible des postes que les ennemis occupent au petit Saint-Bernard et aux grand et petit monts Cenis.

« ART. 2. — Il emploiera pour cette expédition une telle supériorité de forces qu’il ne puisse y avoir aucun doute sur le succès, attaquera tous les postes en même temps, tâchera de les surprendre, gardera le secret le plus profond et fera ses dispositions sous des prétextes étrangers à son véritable but.

« ART. 3. — Immédiatement après l’expédition, le général fera retirer tous les canons des postes enlevés, à l’exception de deux ou trois au plus dans chacun, lesquels seront braqués de suite sur les avenues du côté de l’ennemi et gardés avec la plus grande vigilance. On travaillera sur-le-champ à y faire les baraques et autres travaux nécessaires à la défense du poste et au bien-être de la troupe.

« Pour extrait :

« Barère29, Carnot30, C.-A. Prieur31, Billaud-Varenne32. »

Carnot ajouta encore cette note :

« Le ministre de la guerre est invité à ne rien laisser transpirer du projet ; à recommander également le plus profond secret au général Dumas ; à lui recommander aussi d’employer dans cette expédition des hommes connaissant bien le pays. On assure que Badelonne serait très propre à l’attaque du petit Saint-Bernard, et Ratel, capitaine des guides à pied, pour être employé en second à l’attaque du mont Cenis. »

Gaston fit réponse au Comité de Salut public, le 3 février 1794, en approuvant le projet de prise des cols du Mont-Cenis et du Saint-Bernard, mais surtout en exposant le manque de matériel et de chevaux.

Le Comité de Salut public nomma, au cours de sa séance du 19 pluviôse an II (7 février 1794), un autre représentant du peuple à l’Armée des Alpes ; ce fut Dumaz33.

Voir l’pdfANNEXE_3, le compte-rendu de cette nomination .

En février 1794, l’Armée des Alpes comportait, intervenant sur le secteur de Maurienne, cinq représentants du peuple : Dumaz, Gaston, Albitte34, Laporte35 et Petitjean36. Albitte et Laporte étaient en charge des opérations militaires, de l’armement, des services et des approvisionnements ; Dumaz et Gaston, de l’embrigadement. Quant à Petitjean, il devait mourir d’un cancer le 8 mars suivant.

Dès qu’il le put, le général Dumas réunit un conseil de guerre. Ce fut le 25 février 1794 à Chambéry, chez Gaston, participèrent à ce conseil les généraux Badelaune, Sarret et Rivaz, ainsi que les deux représentants du peuple Gaston et Dumaz.

Ce conseil de guerre avait pour but d’organiser les actions demandées par le Comité de Salut public. En voici le procès-verbal :

« EGALITÉ. - LIBERTÉ.

« Procès-verbal du Conseil de Guerre tenu à Chambéry le 8 ventôse.

« Le huit ventôse, an deuxième de la République française une et indivisible, à Chambéry, département du Mont-Blanc, dans la maison occupée par le représentant Gaston, se sont assemblés les représentants Gaston et Dumaz, le général en chef de l’armée des Alpes, Dumas, les officiers généraux de la même armée, Rivas, Badelaune et Sarret, pour délibérer sur les mesures les plus propres pour réussir la prise des postes occupés par les troupes du Despote Sarde, au Mont-Cenis, Mont Valaizan sur Séez et Petit Saint-Bernard, ordonnée par le Comité de Salut public.

« La matière mise en discussion, il a été généralement reconnu que cette expédition était très avantageuse, en ce que les postes, dont il s’agit, étant occupés par les troupes de la République, la défensive de la frontière dans cette partie devenait beaucoup plus sûre et exigerait beaucoup moins de troupes. D’ailleurs la réussite de cette expédition nécessitant l’ennemi à employer un plus grand nombre de soldats défensive dans pour sa cette partie, il résulte qu’il sera obligé de s’affaiblir sur les autres points, tout au moins les gênerait considérablement dans le cas où ils auraient voulu tenter une attaque sur quelque partie. Il a de même été reconnu unanimement que cette expédition devait être faite pendant le temps que les montagnes sont couvertes de neiges, et profiter des jours où la neige soit assez dure pour porter les hommes qui marchent dessus. Il faut que les montagnes soient couvertes de neige, parce que l’ennemi ne se tient pas en garde, il ne pense pas à être attaqué ; d’ailleurs son artillerie lui devient presque inutile, les fossés étant comblés ; il faut que la neige soit dure, parce que sans cela, il est impossible que les troupes puissent faire les marches nécessaires pour parvenir à l’ennemi. Il a encore été reconnu que cette expédition n’a pas été praticable depuis l’arrêté du Comité de Salut Public, attendu que les neiges n’étaient pas dures ; mais elles peuvent devenir telles d’un moment à l’autre.

« En conséquence, il faut tout disposer pour l’attaque, placer les troupes les plus propres à faire cette expédition à portée de la faire, faire avancer les subsistances, soit pour leur entretien jusqu’à l’expédition, soit pour les maintenir dans les postes qu’elles enlèveront. Comme le secret est nécessaire pour la réussite, et que les mouvements des troupes, qui sont nécessaires pour cette opération, pourraient la faire découvrir, il a été convenu qu’on donnerait pour cause à ces mouvements la crainte d’une attaque projetée par l’ennemi. On dira aussi qu’ils sont nécessaires pour faciliter les revues requises avant l’embrigadement.

« On a été d’avis de confier cette expédition aux deux officiers généraux qui connaissent le mieux les localités, qui sont assez robustes et courageux pour l’entreprendre et la soutenir, et ont les talents nécessaires pour la diriger et la faire réussir ; de mettre à la disposition de ces deux officiers généraux les bataillons qu’ils croiront les plus propres à l’expédition, et tous les pouvoirs requis pour faire avancer les subsistances qu’ils jugeront nécessaires. En conséquence, il a été arrêté :

« 1° Que le général Badelaune sera chargé de l’expédition du Mont Valaizan sur Séez et du Petit Saint-Bernard ; qu’on lui confiera le commandement des troupes qui sont et seront dans les districts de Moûtiers, Cluses et portion du Genevois, en un mot, le même commandement qu’il avait l’année dernière dans cette partie ;

« 2° Que le général Sarret sera chargé de l’expédition du Mont-Cenis, qu’en conséquence on lui confiera le commandement des troupes qui sont et seront dans la Maurienne, y compris Montmeillan, qu’il aura à sa disposition Ratel, capitaine des guides avec sa compagnie ;

« 3° Que le général Vaubois prendra le commandement des troupes qui sont dans la vallée de Barcelonnette qu’avait précédemment Sarret ;

« 4° Que le général en chef mettra à la disposition des généraux Badelaune et Sarret les bataillons qu’ils lui indiqueront comme plus propres à l’expédition, en prenant les précautions nécessaires pour les faire remplacer de suite ;

« 5° Que les généraux Badelaune et Sarret sont autorisés à donner tous les ordres nécessaires pour faire avancer les subsistances qu’ils jugeront nécessaires et à se choisir les adjudants-généraux qu’ils croiront plus propres à les seconder.

« Signé à l’original : Dumaz, Gaston, Alex. Dumas, Rivas, Badelaune, Henri Sarret. »

Le 27 février 1794, Dumaz écrivait au Comité de Salut public, faisant un compte-rendu de la situation de l’Armée des Alpes et des actions qu’il comptait mener pour la réalisation de sa mission.

Voir l’pdfANNEXE_4. l’échange épistolaire entre Dumaz et le Comité de Salut public.

Les préparatifs – l’attaque du Mont-froid – la mort du général Sarret

Dès le 2 mars 1794, le général Sarret était en Maurienne et mit tout en œuvre pour préparer les troupes ; ce qui fut fait à la fin du mois de mars. En revanche, les conditions météorologiques n’étaient pas favorable ; il y avait un épais manteau de neige mais sans grand froid, celui-ci n’avait pas suffisamment gelé pour rendre le terrain praticable.

Ce même 2 mars 1794, Gaston écrivait, à son tour, au Comité de Salut public afin de lui faire connaître la situation générale de l’Armée des Alpes.

Voir l’pdfAnnexe 5 l’extrait du courrier de Gaston au Comité de Salut public

Dumaz écrivait de nouveau à ce même Comité, les 12, 26 et 31 mars 1794.

Voir les pdfAnnexe_6, pdfAnnexe_7 et pdfAnnexe_8, les analyses des courriers de Dumaz au Comité de Salut public

Le froid tant attendu arriva début avril. La neige étant assez dure, le général Sarret, ne souhaitant plus attendre, profita de cette occasion pour lancer l’attaque le 5 avril 179437. Conservant l’habitude qui avait prise lorsqu’il commandait le camp de Tournoux, il lança cette attaque de nuit ; cette dernière débuta à 21h00.

« Dans la soirée du 5, deux divisions se mettent en mouvement. Celle de droite, sous les ordres de Sarret, part de Bramans et de l’église de Saint-Pierre38 à neuf heures du soir ; elle gagne Villette39, passe sur la rive droite du torrent et s’engage dans la combe40 située en face de ce hameau, afin d’atteindre la batterie des Archettes où elle devait se diviser en trois colonnes. Contrairement à ce que l’on croyait, ce poste était occupé et ses défenseurs sur leurs gardes : force est de rebrousser chemin, de redescendre dans le vallon, et de s’élever sur la crête41 opposée pour tourner l’obstacle. Ce retard permet l’arrivée d’un renfort d’une centaine de grenadiers piémontais, de sorte qu’en arrivant au pied de la hauteur l’avant-garde de la colonne française est arrêtée par une vive fusillade. Sarret s’y porte aussitôt ; la raideur des pentes y empêche aussitôt tout déploiement, l’effet de la surprise une fois manqué, il faut se rendre maître de ce point par un coup de vigueur ; il réunit 30 hommes de bonne volonté, se met à leur tête ; mais à quarante pas de l’ennemi il est mortellement blessé42, ainsi que plusieurs soldats, et le détachement se replie. Il était dix heures du matin. Les troupes harassées ne sont maintenues en ordre devant un ennemi bien inférieur en nombre que par l’énergie de l’adjudant-général Camin. La retraite est effectuée à 1 heure de l’après-midi.

« La 2e division, chargée de l’attaque du grand mont Cenis, s’était réunie à Lanslebourg et divisée en trois colonnes, celle du centre était sous les ordres du général Gouvion. Elles eurent un succès relatif, mais sans empêcher l’ennemi de se renforcer et de prendre l’offensive. Apprenant par surcroît la mort de Sarret, toutes les troupes se replient et regagnent leurs cantonnements respectifs dans la soirée du 6. »

Le général Sarret tomba les armes à la main, à la tête de ses hommes, dans une des nombreuses dolines se trouvant entre la pointe du Jeu et le Mont-Froid, il était âgé de 26 ans et 7 mois. Cette crête porte aujourd’hui le nom de ce héros de la Révolution.

Après la retraite, la division redescendit à Bramans avec la dépouille de son chef. Leur camp était une redoute construite quelques décennies plus tôt par les Autrichiens lors de la guerre contre le royaume sarde, et située sur un mamelon43 à l’ouest du village. C’est là que le général Sarret fut enterré ; une plaque réalisée par les soldats fut déposée sur la sépulture. Cette dernière glissa et disparut probablement dans une faille du gypse. C’est un habitant de Bramans, Agapit Melquiot, qui la retrouva. Il la conserva et la mit sur sa cheminée. Au début du XXe siècle, des soldats du 13e bataillon de chasseurs alpins alors en manœuvre et cantonnés chez les habitants, la virent et prévinrent leurs supérieurs. C’est en 1904 que le Bataillon érigea un petit monument à l’entrée de la commune sur lequel fut apposée la plaque. En voici le texte :

« Le général Sarret, commandant l’armée de la République en Maurienne, a été tué le 17 germinal de l’an II (6 avril 1794), dans l’attaque du Mont-Cenis. Ses frères d’armes admirent sa valeur, ses amis donnent des larmes à ses vertus, la postérité honorera sa mémoire. »

Ce monument fut déplacé de quelques mètres au cours du siècle passé et même restauré en 1970, mais il est bel et bien toujours présent.

Quant au corps du général Sarret, le pourpris nous dit qu’à la destruction de la redoute, il fut déplacé dans l’église. Malheureusement, aucune trace de cette sépulture n’a été retrouvée ni dans l’ancienne église, ni dans le cimetière. Quoiqu’il en soit, le général Sarret est mort pour la Patrie sur la commune de Bramans et repose quelque part sur les terres de cette commune savoyarde.

Signature du général SarretSignature du général Sarret

Dix jours après l’attaque et le décès du général Sarret, le 16 avril 1794, Dumaz, ayant reçu les rapports sur cet échec, considérait que la mort du général Sarret était dû à la lâcheté des soldats et officiers qu’il avait sous ses ordres. C’est pour cela qu’il écrivit au Comité de Salut public afin d’exposer son point de vue, d’informer sur sa demande de sanctions faite auprès du général Dumas.

Voir l’pdfANNEXE_9. le courrier de Dumaz au Comité de Salut public

De nombreux habitants de Maurienne et d’ailleurs connaissent les crêtes du Général Sarret, tout du moins de nom, mais, malgré les différents écrits sur cet homme depuis 226 ans, nombreux sont ceux qui ne savent pas qui était ce général. Tel est le but de ce document.

NOTES

  • 1 - François Christophe Kellermann, né le 28 mai 1735 à Strasbourg, Bas-Rhin, et décédé le 13 septembre 1820 à Paris. Il fut général en chef de l’Armée des Alpes du 25 décembre 1792 au 18 octobre 1793.
  • 2 - Louis Jacques Ruelle de Santerre, né le 22 septembre 1739 à Versailles, Yvelines, et décédé le 24 janvier 1802 à Lille, Nord. Ses échecs à la tête de ses troupes contre les Piémontais lui valurent d’être suspendu de ses fonctions le 7 octobre 1793 et renvoyé à Paris par le représentant du Comité de Salut Public, Philibert Simond.
  • 3 - Philibert Simond, né 7 septembre 1755 à Rumilly, Duché de Savoie, et décédé guillotiné le 14 avril 1794 à Paris. Vicaire du village de Gruffy, Duché de Savoie, il dut fuir à Genève puis à Strasbourg en 1790, le gouvernement sarde le considérant comme agitateur et propagateur des idées révolutionnaires. Il devint député du Bas-Rhin à la Convention nationale, appartenant au groupe politique de la Montagne, puis devint suppléant au Comité de la guerre. Il fut envoyé à l’Armée des Alpes d’août à novembre 1793 en tant que représentant de Comité du Salut public.
  • 4 - Jean-Baptiste Bouchotte, né le 25 décembre 1754 à Metz, Moselle, et décédé le 7 juin 1840 à Ban-Saint-Martin, Moselle. Il fut nommé ministre de la guerre par la Convention nationale le 4 avril 1793 et resta à ce poste jusqu’au 20 avril 1794. C’est lui qui nomma officiers Kléber, Masséna, Moreau et Bonaparte.
  • 5 - Anciennement orthographié Malamore.
  • 6 - Il s’agissait des avant-postes de l’armée piémontaise constitués de Croates.
  • 7 - Hameaux de Larche.
  • 8 - Pierre-Jacques Dherbez-Latour, né le 13 septembre 1735 à Barcelonnette, Basses-Alpes, et décédé le 6 mars 1809 à Turin, Italie. Député des Basses-Alpes du 4 septembre 1791 au 20 septembre 1792, puis député à la Convention nationale du 4 septembre 1792 au 26 octobre 1795. En 1793, il était envoyé comme représentant en mission à Barcelonnette.
  • 9 - Jean-François Dours, né le 1er mai 1739 à Bollène, Vaucluse, et décédé assassiné par des déserteurs le 23 décembre 1795, à Bollène, Vaucluse. Il prit le commandement provisoire de l’Armée des Alpes du 29 octobre 1793 au 17 novembre 1793.
  • 10 - 14 novembre 1793.
  • 11 - François Amédée Doppet, né le 16 mars 1753 à Chambéry, Duché de Savoie, et décédé le 26 avril 1799 à Aix-les-Bains, département du Mont-Blanc. Il devient général en chef de l’Armée des Alpes le 25 septembre 1793 en remplacement du général Kellermann.
  • 12 - Jean-François Carteaux, né le 31 janvier 1751 à Gouhenans, Haute-Saône, et décédé le 12 avril 1813 à Paris. Général de division, il commandait au siège de Toulon en 1793. Par la suite, il prit successivement le commandement de l’Armée d’Italie, puis de l’Armée des Alpes. Alors qu’il se trouvait à Marseille, il fut arrêté sur ordre du Comité de Salut public et emprisonné à la Conciergerie le 2 janvier 1794 ; il fut libéré fin juillet de la même année.
  • 13 - Jean-Louis Pellapra, né le 11 janvier 1739 à Montélimar, Drôme, et décédé le 25 mars 1808 à Montélimar, Drôme. Nommé général de division le 7 octobre 1793, il prit le commandement temporaire de l’Armée des Alpes à compter du 23 décembre 1793. A la prise de fonction du général Dumas, il prit le commandement de la 4e division de cette même armée jusqu’au 14 juin 1795 où il rejoignit l’armée d’Italie sous les ordres du général Kellermann.
  • 14 - Jean-Pierre Pouget, né le 5 octobre 1761 à Péret, Hérault, et décédé le 7 février 1825 à Montpellier, Hérault. Le 9 octobre 1793, alors général de brigade, il devint chef de l’état-major général de l’armée des Alpes. Il fut élevé au grade de général de division à titre provisoire le 24 mars 1794 ; il fut confirmé à ce grade le 14 novembre suivant.
  • 15 - Pierre Petit-Guillaume, né le 26 septembre 1734 à Equevilley, Haute-Saône, et décédé le 29 mai 1805 à Vesoul, Haute-Saône. A terminé sa carrière comme général de division.
  • 16 - Antoine Joseph Marie Valette, né le 26 janvier 1748 à Valence, Drôme, et décédé le 21 juillet 1823 à Grenoble, Isère. A terminé sa carrière comme général de brigade.
  • 17 - Honoré Louis Auguste Massol de Monteil, né le 13 février 1747 à Villeneuve, Provence, et décédé le 27 juillet 1834 à Grignan, Drôme. A terminé sa carrière comme général de division.
  • 18 - Claude Gaudérique Joseph Hiérome Chambon, né le 30 octobre 1757 à Boulou, Pyrénées-Orientales, et décédé le 26 septembre 1833 à Paris.
  • 19 - Simon-Joseph Colinet, né le 12 mars 1766 à Avesnes, Nord, et décédé « Mort pour la Patrie » le 14 juillet 1808 à la bataille de Medina de Rioseco, Valladolid, Espagne.
  • 20 - Frédéric Henri Walther, né le 20 août 1761 à Obenheim, Bas-Rhin, et décédé le 24 novembre 1813 à Kusel, Sarre. A terminé sa carrière comme général de division, inhumé au Panthéon.
  • 21 - Louis Emmanuel Rey, né le 19 septembre 1768 à Grenoble, Isère, et décédé le 18 juin 1846 à Paris.
  • 22 - Claude-Henri Belgrand, comte de Vaubois, né le 30 septembre 1748 à Longchamp-sur-Aujon, Aube, et décédé le 14 juillet 1839 à Beauvais, Oise. A terminé sa carrière comme général de division.
  • 23 - Louis Jean Baptiste, comte de Gouvion, né le 6 février 1752 à Toul, Meurthe-et-Moselle, décédé le 22 novembre 1823 à Paris. A terminé sa carrière comme général de division.
  • 24 - Jean-Baptiste-François Henri de Camin, né le 13 novembre 1760 à Calais, Pas-de-Calais, et décédé « Mort pour la Patrie » le 2 juillet 1798 à Alexandrie, Egypte. Il fut massacré par les Arabes en débarquant à Alexandrie.
  • 25 - Frédéric Michel de Lajolais, né le 1er août 1765 à Wissembourg, Bas-Rhin, et décédé le 28 septembre 1808 en détention au château d’If, Bouches-du-Rhône. A terminé sa carrière comme général de brigade.
  • 26 - Pierre Emmanuel Jacques de Rivaz (et non pas Rivas), né le 3 juillet 1745 à Brigue, canton du Valais, Suisse, et décédé le 24 janvier 1833 à Paris. A terminé sa carrière comme général de brigade.
  • 27 - Jean-Louis Simien, né le 10 décembre 1736 à Roybon, Isère, et décédé le 12 février 1803 à Bar-sur-Ornain, Meuse. A terminé sa carrière comme général de brigade.
  • 28 - Raymond Gaston, né le 13 février 1757 à Foix, Ariège, et décédé le 8 septembre 1836 à Paris. Député de l’Ariège, élu à la Convention nationale, il fut envoyé dans un premier temps, en 1793, à l’Armées des Pyrénées, puis, en janvier 1794, à l’Armée des Alpes. Au cours de cette période, il se lia d’amitié avec le général Dumas qui devint le parrain de sa fille, Adélaïde-Alexandrine, née le 12 juillet 1795.
  • 29 - Bertrand Barère dit Barère de Vieuzac, né le 10 septembre 1755 à Tarbes, Hautes-Pyrénées, et décédé le 13 janvier 1841 au même lieu. Membre du Comité de Salut public.
  • 30 -Lazare Carnot, né à Nolay le 13 mai 1753 et mort en exil le 2 août 1823 à Magdebourg, Prusse. Mathématicien, physicien, général et homme politique français. Membre du Comité de Salut public.
  • 31 - Claude-Antoine Prieur-Duvernois dit « Prieur de la Côte-d’Or », né le 22 décembre 1763 à Auxonne, Côte-d’Or, et décédé le 11 août 1832 à Dijon, Côte-d’Or. Membre du Comité de Salut public.
  • 32 - Jacques-Nicolas Billaud puis Billaud-Varenne, né le 23 avril 1756 à La Rochelle, Charente-Maritime, et décédé le 3 juin 1819 à Port-au-Prince, Haïti. Membre du Comité de Salut public.
  • 33 - Jacques-Marie Dumaz, né le 9 avril 1762 à Chambéry, Savoie, et décédé le 9 janvier 1839 au même lieu. Député du Mont-Blanc, élu à la Convention nationale comme 1er suppléant le 25 février 1798, il fut admis à siéger le 18 avril suivant.
  • 34 - Antoine-Louis Albitte, dit Albitte l’aîné (pour le différencier de son frère Jean-Louis, dit le jeune), né le 30 décembre 1761 à Dieppe, Seine-Maritime, et décédé le 23 décembre 1812 à Raseiniai, Russie.
  • 35 - François Sébastien Christophe Delaporte, dit Laporte, né le 15 septembre 1760 à Belfort, Territoire éponyme, et décédé le 25 mars 1823 au même lieu.
  • 36 - Claude-Lazare Petitjean, né le 22 mars 1748 à Bourbon-l’Archambault, Allier, et décédé le 8 mars 1794 au même lieu.
  • 37 - 151 ans plus tard, jour pour jour, le 5 avril 1945, exactement au même endroit, l’armée français livra les derniers combats pour la libération de la Maurienne.
  • 38 - Cette division, partie de Bramans, s’était regroupée dans les près autour de l’église de Saint-Pierre-d’Extravache qui est considérée comme étant la première chrétienté de Maurienne. Elle se situe sur les hauteurs de la commune de Bramans, avant d’arriver au hameau du Planais. C’est de là que la division se mis en marche le 5avril 1794 à 21h00.
  • 39 - Il s’agit du hameau de la Villette, autre hameau de Bramans.
  • 40 - Combe des Archettes.
  • 41 - Crête de la montagne du Jeu.
  • 42 - Le 6 avril 1794 à 10h00.
  • 43 - Ce mamelon est situé à la cote 1369. Ce lieu était nommé en patois le Mouratsenou (mamelon chenu, probablement dû à la couleur blanche du gypse qu’il le forme), aujourd’hui il est appelé « Mollard chez nous ». On l’appelait également la Redoute des Autrichiens ou encore la Redoute Napoléon.
  • 44 - Claude Dominique Côme Fabre dit Fabre de l'Hérault, né le 11 août 1762 à Montpellier, Hérault, et décédé le 9 janvier 1794 près de Port-Vendres, Pyrénées-Orientales. Il fut le premier représentant du peuple à mourir au champ d’Honneur. Il ne vint donc jamais à l’Armée des Alpes.

SOURCES

  • Archives départementales de l’Aveyron et de la Savoie
  • Bramans (autrefois Métropole) - Saint-Pierre-d'Extravache (première chrétienté de Maurienne), par Joseph Favre
  • Campagnes dans les Alpes pendant la Révolution, par Léonce Krebs et Henri Moris - 1891
  • Correspondance générale de Carnot - publié avec des notes historiques et biographiques – Tome IV, par Etienne Charavay - 1907
  • Journal des débats politiques et littéraires, du samedi 6 septembre 1930
  • Le général Badelaune et la défense des Alpes en 1793-1794, par Charles Philippe - 1891
  • Le général Joseph-François Dours, sa vie politique et militaire, sa mort tragique, par Victorin Laval - 1912
  • Les généraux morts pour la patrie 1792-1871 – 1e série 1792-1804, par Jacques Charavay - 1893
  • Mémoires et documents publiés par la Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie – Tome LVIII – deuxième série – tome XXXIII - 1918
  • Mémoires et documents publiés par l'Académie du Faucigny - tome VII – 1950-1952
  • Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du conseil exécutif provisoire - tomes VII, VIII, IX, X, XI, XII et XIII