Hommage à Monsieur Henri MaitreH MAITRE
Dernier Résistant Déporté de Savoie

Par Jean-Yves Sardella Délégué Général Adjoint du Souvenir Français de Savoie
Avec la participation de Claude Dumas, Président des Médaillés Militaires de Savoie

Retrouver pdfICI le vibrant hommage rendu à Henri Maitre par Jean-Olivier Viout, Président du Conseil d’orientation du Mémorial national de la prison de Montluc, Procureur Général honoraire de Lyon

La Savoie vient de perdre un grand homme, en la personne de monsieur Henri Maître ancien Résistant et Déporté. C’est avec une profonde émotion que nous saluons sa Mémoire. En effet, il vient de nous quitter ce 16 février 2021, dans sa 98è année.
Après avoir vécu l'horreur des camps nazis, notamment dans le sinistre camp de Mauthausen, il passa sa vie à parler de cette guerre et de cette déportation qui l'avaient profondément marqué. Toujours auprès des jeunes, il leur adressait un message de paix et de tolérance pour qu'à leur tour, ils ne vivent plus jamais cela.
Je laisserai à monsieur Claude Dumas, un de ses proches et président des Médaillés Militaires de Savoie, le soin de le présenter (Dauphiné Libéré du 21 fév. 2021)
« Henri Maître est né le 5 juillet 1923 à Nice (Alpes Maritimes), entouré de 9 frères et sœurs. Plus tard, la famille quitte Nice pour s’installer à Caluires, où le 18 juin 1940, il entend l’appel de De Gaulle. Son père lui dit alors, ainsi qu’à son frère Maurice : « Vous savez maintenant où est votre devoir. »
Employé à l’usine d’aviation Sigma comme ouvrier de haute précision, il distribue des tracts et des journaux dans les toilettes. A la demande de la Résistance, il sabote les machines-outils et les moteurs Hercules 8 cylindres et fournit un radio-émetteur. Il refuse le STO (Service du Travail Obligatoire) et s’engage à Jeunesse et Montagne, à Curienne. Il s’en échappe pour ne pas être pris par les GMR (Groupes Mobiles de Réserve).

Déporté à Mauthausen avec le N°60217

Il est mis en contact avec la Résistance à Challes-les-Eaux, - il a pour pseudonyme : « Emile » - On lui demande de récupérer un groupe de 14 déserteurs slovènes, qu’il emmène dans un maquis situé à la Queboutane, sur la commune de Yenne. Là, il les encadre et les forme. A la suite d’une dénonciation, ils doivent être transférés dans un maquis de l’Ain.

Lui, restera sur place. Il sera arrêté le 29 janvier 1944 par la Gestapo. Emmené et torturé à la villa Ménager de Chambéry. Il n’a jamais parlé. Il est, par la suite conduit à Compiègne avant d’être transporté dans un wagon à bestiaux à Mauthausen (Autriche) avec le N° 60217.
Dans le camp de Gusen 2*, il est affecté aux ateliers de Messerschmitt. Il sera libéré par les Américains le 5 mai 1945. Atteint du typhus, Il ne pèse que 34 kg.
Ce sont les canadiens qui le rapatrient en France avec 9 camarades. Après la guerre, il exercera le métier de représentant pour la Société Standar et pour des entreprises américaines et françaises. En 1972, il créera sa propre société de vente de produits chimiques non polluants et prendra sa retraire en 1982.
Aussitôt, il décide de faire savoir, avec l’aide de l’Education Nationale, aux collégiens et lycéens, ce qu’il a vécu durant cette triste période. Pendant plus de 30 ans, avec son épouse Denise, il sillonnera les routes de la région Rhône-Alpes pour témoigner. Il a toujours insisté auprès des jeunes sur l’Amour de la Patrie et surtout des « mamans ». Sa dernière victoire : avoir réussi, avec l’aide de Jean-Olivier Viout, président du Mémorial de Montluc, à donner le nom de son frère Maurice, à une cellule de la prison de Montluc.

Henri Maitre était titulaire des décorations suivantes :
- Officier de la Légion d’Honneur,
- Médaille militaire,
- Croix de guerre 39/45 avec palme,
- Croix du Combattant volontaire de la Résistance
- Croix du Combattant.
Henri et Denise se sont mariés le 26 juin 1948. Cinq enfants sont nés de leur union, puis 11 petits-enfants, 11 arrière-petits-enfants et 2 arrières-arrières petits-enfants. »

Mauthausen

Ces camps sont parmi ceux, nombreux du genre, que les nazis construisirent pour y enfermer les juifs, les tziganes et tous les opposants, traqués par le régime politique d'Hitler.
Henri Maitre racontera que le calvaire commence avant même l’entrée dans le camp. Il arrivera en mars 1944 par le train. Et comme tous les déportés de son convoi, il passera la dernière journée de trajet entièrement nu dans un froid glacial. A l'arrivée, ils devront choisir, dans un tas, des vêtements et des chaussures souvent trop grands.
« Il ne fallait jamais traîner, c’était une question de vie ou de mort » disait-il. 186 mARCHES L escalier de la mort

A Mauthausen les déportés étaient forcés de travailler dans une carrière de granit. « On portait les pierres de granit sur l’épaule, ça faisait très mal » raconte Henri Maitre. Et pour accéder à cette carrière, il fallait monter les 186 marches d’un escalier. Aucune marche n’était à la même hauteur. Il se souvient que « de part et d’autre de cet escalier il y avait des SS avec leurs chiens qui aboyaient !».
On prétextait aux femmes, enfants et personnes âgées qu'ils allaient prendre une douche alors qu'on les exécutait dans des chambres à gaz. Quant aux hommes, on les faisait travailler et vivre dans des conditions épouvantables. On l’a vu, Henri Maître rentrera dans ses foyers, exténué et souffrant du typhus, ne pesant plus que 34 kilos.
Il avait passé plus d’un an dans ce camp. Mais il réussit à s’en sortir, « miraculeusement » vivant.
La libération du camp de Mauthausen se déroulera en plusieurs temps. Dans la nuit du 3 au 4 mai 1945, les derniers SS abandonneront le camp. Le 5 mai, les troupes américaines découvriront l’horreur et procéderont au désarmement puis au départ de gardes autrichiens momentanément mis en place les jours avant. Le lendemain, le camp passera sous le contrôle du Comité international.
Après son retour des camps, il sera, comme ses camarades, peu prolixe. Raconte-t-on l’horreur, l’inhumain, l’indicible ? Etaient-ils prêts à témoigner de leur histoire ? Et puis auraient-ils écoutés ? Cependant, il devint bien « passeur de Mémoire » pour que cela ne se reproduise plus.
Simone Veil n’appréciait pas le terme « Devoir de Mémoire ». Le seul devoir pour elle, était d’enseigner et de transmettre. C’est bien ce que Henri Maître fit tout le reste de sa vie…
A travers ses témoignages on découvrira l'atrocité de cette période troublée.

Henri Maitre retournera à Mauthausen du 4 au 6 mai 2013

Par Claude Dumas - DL Chambéry 14 mai 2013 (extrait)
« En effet, 68 ans après en être sorti miraculeusement vivant, Henri Maitre retournera à Mauthausen, dans le camp de concentration où il vécut les pires humiliations, privations et sévices.
Avec son épouse Denise, et Renate Carrère, traductrice, ils étaient les invités du gouvernement autrichien du 4 au 6 mai 2013. Tout comme quelque trente autres survivants israélites, hongrois, polonais, américain, russes, serbes, italiens, espagnols qui ont pu se rendre aux cérémonies d’inauguration du mémorial qui évoque les meurtres de masse commis dans ce lieu.
La cérémonie d’ouverture s’est déroulée sous la présidence du Dr Heinz Fischer, président du gouvernement autrichien, qui a réuni 500 invités dont la ministre de la Justice d’Israël TzipiLivni, le président de Hongrie Janos Ader, le président polonais Bronislaw Komorowski, ainsi que le président de la Douma SergejNaryschkin. (…)
Après son discours lu avec son épouse, Henri Maitre et deux autres survivants ont, pour terminer, déposé dans la capsule une enveloppe contenant six messages : le sien et ceux de cinq camarades de misère. Cette capsule, scellée dans le mur, sera rouverte dans 50 ans, et les paroles seront lues par les futures générations à qui elles s’adressent. »

OUI … C'est notre dernier témoin résistant de la Savoie déporté et interné, qui nous quitte ...
La France, la Savoie et le monde combattant perdent une grande conscience morale, un homme d'une qualité exceptionnelle.
Avec Christian Desseaux, ils intervenaient régulièrement auprès des jeunes, justement pour TEMOIGNER ET TRANSMETTRE.

Le témoignage possède une valeur d’absolu, voire de sacré.
Aussi, rappelons-nous le respect, le silence et l’intense émotion dans les classes des collèges et lycées, auprès des jeunes générations…
A nous, à vous … à continuer et à prendre le relais …

REPOSEZ EN PAIX cher Henri Maitre.

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NOTES :                                                                                                                                                                                                          Vue aérienne des camps de Gusen I et Gusen II
*CAMPS DE GUSENVue aérienne des camps de Gusen I Gusen II avril 1945

Le premier camp de Gusen(1) fut construit à partir de décembre 1939 par des détenus opposants allemands et autrichiens et des prêtres, en raison, comme pour Mauthausen, de la proximité des carrières de granit. A partir de mars 1940, arrivèrent des détenus polonais, puis des prisonniers soviétiques, des Républicains espagnols, et des Français. La population du camp atteignit rapidement 4000 hommes et il y eut 1500 morts rien qu'au cours de l'année, tellement les conditions de travail dans les carrières étaient épouvantables. Un four crématoire fut mis en service début 1941.
Les atrocités commises à Gusen furent à la hauteur de celles mises en pratique dans le camp principal. Les malades et les inaptes au travail étaient par exemple sélectionnés pendant les appels et conduits aux "bains" où ils étaient placés sous des douches, par lesquelles on envoyait de l'eau glaciale à haute pression. La température du corps baissait lentement jusqu'à ce que le détenu meure
Les camps de Gusen II (St Georgen) et de Gusen III (Lungitz) furent construits en 1944 pour l'opération baptisée Bergkristall, un réseau de galeries souterraines à l'épreuve des bombardements aériens, pour la fabrication secrète des fuselages et des ailes des nouveaux avions de chasse à réaction, les Messerschmitt 262, censés donner la victoire finale à l'Allemagne. Les conditions de vie dans ces camps étaient particulièrement atroces, Gusen II était surnommé par les prisonniers "l'enfer des enfers"
Les camps de Gusen furent libérés en même temps que celui de Mauthausen, avant le dynamitage des tunnels préparé par les nazis, tunnels dans lesquels il avait été prévu d'enfermer les détenus.

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Les frères Maitre :

Georges rejoindra Londres à l’Appel du Général De Gaulle. Il sera parachutiste.
Henri entrera en Résistance.
Maurice entrera aussi dans la Résistance, (Armée Secrète en nov. 1943). Le 18 juillet 1944, il sera arrêté par la Gestapo, Fort de Montluc. Il y subira les pires sévices.
Il décèdera à la Croix Rousse à l’âge de 16 ans. Une cellule du Fort de Montluc porte son nom.

Iconographie :

  • Les 186 marches Bundersarchives – Bild 192 -269 – BY-SA 3.0
  • Vue aérienne des camps de Gusen I et Gusen II Domaine public – 14 avril 1945
  • Entrée du camp Gusen I le « Jourhaus » 1941 Bundesarchiv, Bild 192-171 / CC-BY-SA 3.0
  • Place de l'appel dans le camp face à l'entrée principale. Encyclopédie miltimédia de la Shoah (1945)
  • 3 Photos Mathausen 2013 dont les plaques de marbres sur lesquelles sont inscrits les noms de ceux qui ont laissé leur vie dans ce camp.Stefan Matyus
  • 2 Photos Le maquis de Traize (Savoie) Claude Dumas
  • Photo Henri Maitre Claude Dumas